dimanche 29 mai 2016

Raul Midon – New Morning – Le 18 mai 2016



Notre monde est guerre, les médias ne manquent pas de nous le rappeler, surfant sur un sensationnalisme scabreux et suintant le souffre, brandissant le spectre de Daesch au moindre sursaut de soupçon de volonté de s’ôter de l’esprit que l’atmosphère est morose, avec en prime la sinistrose du pouvoir d’achat du panier de la ménagère… Et pour ne rien ôter à cette foutue société s’enfonçant avec complaisance dans la médiocrité, Prince nous a quitté voilà moins d’un mois, emportant avec lui un rayon de funk, une pincée d’impertinence, un bruissement de détermination, quelques bribes de folie, désenchantant un peu plus la surface de la Terre.
Lentement, dans les soubassements de cet univers créateur mû par une force implacable insufflant le changement perpétuel, il semblerait que Raul Midon ait trouvé le levier de vitesse lui permettant d’enclencher la seconde, lui qui marche sur les pas de Stevie Wonder. Chronique retentissante d’un concert, au bas mot, de l’année.
Salle comble, ambiance intimiste, comme d’hab’ une heure de début de concert non respectée, la tension monte gentiment. Enfin, on nous annonce El artista … Raul Midon !
Seul sur scène malgré les multiples instruments qui l’entourent (: guitare, piano, bongos, microphones), celui qu’un passant à l’extérieur nommait « l’aveugle argentin » (qui, accessoirement est un musicien soul… Dingue ce besoin de raccourcis systématiques pour identifier quelqu’un et caser 3 références compte triple de mes 2 !), donc oui le mec un peu basané qui tire une gueule bizarre et regarde pas les gens dans les yeux, Raul de son prénom, débarque sur scène pour entamer le concert en solo (enfin, non puisqu’il est accompagné jusqu’à son micro… Bon OK j’arrête les vannes à 2 balles). Pas intimidé pour un sou, Mister Midon nous déclare qu’il va jouer un morceau de son prochain album « Middle Pedal » si j’ai bien compris… Pas besoin de plus de 30 secondes pour comprendre qu’on va prendre une sacrée claque musicale ce soir là. L’acoustique est irréprochable, la voix ressortant de manière limpide (indispensable quand on a la chance d’écouter un chanteur à la voix soul aussi pure) et la guitare bien percussive pour faire péter le groove. D’emblée, le truc qui calme, c’est l’ambivalence entre d’un coté le jeu de guitare très musclé de Raul Midon avec des mains très crispées effectuant des mouvements saccadés, et de l’autre, son visage zen à 2 km, le mec chante comme si de rien n’était. Pour vous faire une idée de la chose, essayez donc de soulever l’armoire normande de votre arrière grand-mère tout en chantant avec un air décontract’ /Insérer air que vous chantonnez sous la douche/
Non content de nous en mettre plein la vue (pas mal pour un aveugle ;)) avec son jeu époustouflant de guitare, Raul alterne les acrobaties musicales : imitations de la trompette lors de ses impros vocales, impros guitare puis voix empruntes de virtuosité, mélange de bongo + guitare en accompagnement, morceau instrumental complet à la guitare… On sent que le mec est pas là pour enfiler des perles et enfonce le clou un peu plus à chaque morceau. Seuls bémols : la redondance des titres (certains morceaux du prochain album sentent franchement le déjà-entendu) et ce besoin irrépressible de foutre des soli de guitare un peu partout. Autant y’a de quoi être soufflé par son jeu rythmique de guitare, ses impros « trompette » ou encore sa superbe voix soul, autant ses soli systématiques à chaque morceau sont de trop, notamment lorsqu’ils tombent comme un cheveu sur la soupe en plein milieu d’une balade telle « when you call my name ». Imaginez une atmosphère mélancolique qui s’installe avec le couplet, un refrain salvateur qui vous porte au ciel dans une délicate envolée lyrique et bam d’un coup : solo de free-jazz avec 150 000 notes à la minute -> Et oui mon bon Raul t’es tombé dans le piège du gratteux qui, tout fier de maitriser de nouvelles techniques, en fout de partout avec mauvais goût.
Booooon, ce léger faux pas sera compensé par les tubes imparables de sa discographie, exécutés d’une main de maître (« don’t take it that way », « sunshine »), voire complètement réinterprétés par rapport à leur version album (« invisible chain »), nous rappelant que le bonhomme commence à avoir une belle collection de tubes bien rodés par les nombreux concerts à son actif.
Enfin le final avant rappel fut un véritable moment de magie. Raul invite un certain Jean-Philippe qu’il traite de « badass » (en musique, ce qualificatif évoque pour moi un musicien doté d’un sacré sens du rythme, capable de trouver des lignes rythmiques diaboliques qui te font hocher la tête sans répit). Un mec avec un look minimaliste, également aveugle, arrive sur scène avec son instrument : une sorte de mélodica. Après une rapide balance, Raul Midon entame son plus gros tube « State of mind »… Dans un premier temps, Jean-Philippe l’accompagne en balançant une ligne de basse salement groovie en accompagnement du morceau … Puis les 2 compères se lancent dans une série d’impros qui ne sont pas sans nous rappeler les heures les plus lumineuses d’Herbie Hancock et ses Head Hunters dans les 70’s, un Raul Midon qui ne sait plus à quel saint se vouer : Marvin Gaye et Bobby McFerrin dans les aigus, Barry White dans les graves. A un moment donné, on sent que Raul a besoin de faire sortir un truc, quelque chose en réaction à ce monde qui s’enlise dans la contemplation de sa médiocrité : il nous balance un rap plein de groove et de paroles positives comme pour emmener l’ensemble du public vers l’excellence musicale… Et ça prend ! La fin du morceau est en fait une reprise du thème « Killer Joe » avec Raul réinterprétant la trompette de Quincy Jones et Jean-Michel la contrebasse de Ray Brown, la conclusion ultime qui redonne ses lettres de noblesse à l’expression « avoir un groove de Badass » !
Rappelé par les vivas du public, Raul remontera sur scène, un peu ému, pour une ultime balade d’au revoir. Quelque peu hésitant sur certains changements d’accords à la guitare, il nous montre enfin un visage humain qui rassure un peu le musicien frustré ce soir là que je fus devant tant de virtuosité !

Pour aller plus loin - Des liens & de la musique :

- Le live de référence de Raul Midon avec Richard Bona - Marciac 2011 : https://www.youtube.com/watch?v=ppdymdxYwn8
- Killer Joe, un classique : https://www.youtube.com/watch?v=aASXNyc6xmY
- Chameleon, un standard des Head Hunters :
En 74 : https://www.youtube.com/watch?v=NQKzNIGphL8
En 2006 : https://www.youtube.com/watch?v=dBkoxR6eSQU

 

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